Les armuriers

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Avant le milieu du XVe siècle, Tours accueillait peu d’armuriers. Ceux-ci répondaient avant tout à une demande locale et se montraient incapables de fournir en masse [Painsonneau, p. 22]. Deux facteurs vinrent changer cette situation. L’ambition de Charles VII, puis de Louis XI, d’avoir de moins en moins recours aux importations pour équiper leurs armées, ainsi que l’affirmation de Tours comme ville royale, contribuèrent à faire de la ville l’un des plus importants centres armuriers du royaume. Cette industrie prit son essor dans les années 1440-1450 et atteignit son apogée entre 1460 et le début du XVIe siècle grâce, en particulier, aux commandes royales. Tours perdit ensuite peu à peu son rôle de fournisseur principal de la Couronne, mais elle s’orienta vers la fabrication d’armures prestigieuses destinées aux grands du royaume [Painsonneau, p. 22].

Afin de développer l’industrie armurière, la venue d’ouvriers étrangers fut encouragée par le pouvoir, le roi pouvant faciliter leur installation par un soutien financier. Ainsi, Charles VII attribua 2000 écus au Milanais Jacquemin Ayrolde pour l’aider à ouvrir une boutique à Tours [Painsonneau, p. 25, Chevalier, p. 240]. Tours attira alors les ouvriers d’Angers (Ayrolde, attaché à la cour d’Anjou), comme ceux de Bourges par la suite (Gaspard et Balsarin de Trez). En 1449, Charles VII pensionna pour 50 l t. chacun, une demi douzaine de brigandiniers pour qu’ils s’installent à Tours [Chevalier, p. 239-240]. Le nombre important d’Italiens dans la population d’armuriers tourangeaux, en particulier des Lombards, s’explique par l’excellente réputation dont ceux-ci jouissaient. Ainsi Balsarin de Trez, Étienne Daussonne et les frères Donnast et Vignon Merveilles étaient issus de familles d’armuriers du nord de la Péninsule, sans doute mobilisés par Jacques Coeur qui finançait en partie les installations et profitait des liens commerciaux de ces derniers avec les foires de Genève de Milan ou de Brescia [Chevalier, 1975, p. 241]. En remerciement des services rendus, plusieurs d’entre eux reçurent au cours du XVe et du XVIe siècles des lettres de naturalisation. En 1450, Charles VII octroya au Milanais Jacquemin Ayrolde le droit de “demourer et faire residance en nostre dict royaume” [Mighaud-Fréjaville, 2011, p. 12] et soixante-dix-huit ans plus tard, François Ier en fit de même à l’égard de Loys de Lacques, dit Merveilles, qui possédait alors la charge de “sommelier ordinaire” du roi [Reppel, 2016, p. 190]. La présence de certaines familles italiennes dans la ville fut pérenne et les générations s’y succédèrent sur de longues périodes. Ce fut le cas des Merveilles, dont l’activité tourangelle débuta avec Jean vers 1425 et se prolongea jusqu’en 1551, date où s’éteignit Loys, le dernier représentant de cette dynastie d’armurier lombard [Reppel, 2016, p. 188].

L’industrie armurière, principalement tournée vers la fabrication de harnois et de brigandines, se déroulait dans des ateliers qui étaient souvent situés au rez-de-chaussée de la maison du maître [Painsonneau, p. 27; Reppel 2016, p. 192]. Ceux-ci résidaient le plus souvent dans l’un des deux pôles qui constituaient la ville médiévale, la Cité, vers la cathédrale à l’est, et le Châteauneuf à l’ouest. Les deux secteurs étaient reliés et traversés par deux grandes artères, la Grand-Rue et la rue de la Scellerie, qui représentaient des axes très fréquentés, idéals pour y installer une boutique. Le fourbissage des armures pouvait se réaliser dans les “moulins à harnois” qui étaient disséminés dans la campagne tourangelle [Painsonneau, p. 31 et 81, Chevalier, p. 241]. La taille des ateliers était variable, le maître n’étant pas limité, du moins jusque dans les années 1520, dans le nombre d’apprentis et de compagnons qu’il pouvait employer. Toutefois, la plupart étaient assez modestes et il semblerait que ceux de Balsarin de Trez et de Jacquemin Ayrolde, avec respectivement 22 et 12 compagnons, aient été des exceptions [Painsonneau, p. 42]. Les maîtres armuriers pouvaient collaborer entre eux ou monter des associations de différentes natures. Loys de Lacques, Nauldin Texier et Jean Poictou louaient ensemble un moulin à fourbir à Vernou [Tours : 1490, 2 avril ] afin de mettre en commun un outil de production et pour réduire les coûts. Certains, comme Jacques Merveilles et Loys de Lacques, exploitaient ensemble une boutique [Reppel, 2002-2003, p. 31] et d’autres se partageaient des commandes. Par exemple, Denis de Fougerays et de Jacques de Girésime, tous les deux brigandiniers du roi, le premier à Tours et le second à Blois, s’associèrent pour la confection des brigandines des archers de la garde écossaise et française du roi [Reppel, 2002-2003, p.32]. Les armuriers pouvaient également avoir recours à la sous-traitance, à l’image de Jehan I Daussonne qui confia l’exécution de seize cuirasses à Claude Bouzonnet [Reppel, 2002-2003, p.32]. Ils travaillaient souvent en famille, les fils aidant leur père et les épouses reprenant l’entreprise de leur mari à sa mort. On constate aussi que de nombreux mariages se faisaient entre individus du même milieu, souvent dans des logiques d’alliances et de transmission de l’entreprise familiale. Le cas de la famille Norieulx dite Daussonne est assez emblématique de ce point de vue [voir arbre généalogique des Daussonne]. Marie Daussonne, fille de Jean Daussonne, armurier à Paris, épousa Macé Legendre, armurier à Tours. Leurs deux fils Loys et Michel suivirent les traces de leur père, le second devenant même, comme ses oncles Jean et Simon Daussonne, armuriers du roi. Michel Legendre et Laurent Caillault, lui-même maître armurier, sont désignés comme cousins dans un document. Or, il se trouve que ce dernier était le fils de Renée Norieulx, l’épouse de Jean Caillault, maître armurier à Tours. Bien qu’aucune archive ne permette d’affirmer que Marie et Renée, qui portaient le même nom, étaient sœurs, il est indubitable qu’elles appartenaient à la même famille. Enfin, Laurent Norieulx, maître armurier à Tours et frère de Renée, était le beau-père de Nicolas Beautemps qui fut peut-être son apprenti.

Aucune corporation ne régissait la profession jusqu’au début du XVIe siècle [Reppel, 2002-2003, p. 18 ; Painsonneau, p. 49]. Seul le roi Louis XI imposa avant cette date des règles qui tenaient, non pas à l’organisation du travail, mais à la qualité des armures. Il souhaitait en effet que les pièces qu’ils commandaient en nombre pour son infanterie correspondissent toutes aux mêmes normes. Par une réglementation de 1470, il chargea les autorités de la ville de procéder à la vérification de la marchandise et à l’apposition d’une marque sur chaque harnois qui sortait des ateliers pour en attester la conformité [Painsonneau, p. 112]. La profession évolua dans les années 1520, période au cours de laquelle elle s’organisa en un régime corporatiste. Des maîtres jurés, qui étaient élus par leurs pairs, définissaient des règles – notamment sur la formation et l’acquisition de la maîtrise – et veillaient à leur application [Reppel, 2002-2003, p. 18-19].

L’armurerie tourangelle se développa dans un premier temps grâce à la production de masse qui était nécessaire pour équiper l’armée du roi. Les livres de comptes indiquent que Louis XI acheta 500 brigandines en 1476-1477 [Recueil, 1401-1500, f°17], date à laquelle Balsarin de Trez reçut pour lui et les armuriers de son atelier 7080 livres de pension [Recueil, 1401-1500, f°15]. Louis XI devait en 1479 la somme de 21 601 livres tournois à sept armuriers tourangeaux [Reppel, 2016, p. 193]. Plus d’une soixantaine de noms de maîtres armuriers sont encore identifiables entre 1480 et 1520 ce qui montre le maintien de l’activité, et dont certains viennent d’Allemagne ou du Brabant [Chevalier, p. 347-348]. Ce monopole de fait ne dura pas et Tours dut subir la concurrence d’autres centres comme Lyon qui, grâce à ses foires, pouvait fournir en quantité des armures italiennes. Les ateliers s’adaptèrent à la situation. Ils renoncèrent à la production en série afin de satisfaire une clientèle plus exigeante composée de membres de la haute noblesse comme Louis II de La Trémoille, François II d’Orléans ou Jehan de Mirepoix. [Reppel, 2002-2003, doc 9]. Le plus célèbre, François d’Angoulême, le futur roi François Ier, fit confectionner par Jacques Merveilles les harnois de joutes qu’il comptait revêtir lors des festivités données à l’occasion du mariage de Louis XII et de Marie d’Angleterre en 1514 [Reppel, 2016, p. 194]. La renommée des ateliers tourangeaux se maintient ainsi. Le reste de la clientèle était composé d’écuyer, hommes d’armes et de gentilshommes de la petite noblesse soucieux d’acquérir des harnois de qualité. En faisant appel aux ouvriers tourangeaux, ils pouvaient s’enorgueillir de se fournir chez les armuriers qui avaient la faveur des plus grands dignitaires du royaume [Reppel, 2002-2003, p. 45 et doc. 9].

En dépit de cette capacité d’adaptation, la population armurière diminua nettement à partir des années 1530 et malgré un rebond dans les années 1580-1590, le déclin fut irrémédiable à la fin du siècle.

 

Bibliographie et sources

Chevalier Bernard, Tours ville royale (1356-1520), Paris-Louvain, Publications de la Sorbonne, 1975.
Painsonneau Simon, Fabrication et commerce des armures, l’armurerie tourangelle au XVe siècle, Paris, A.E.D.E.H., 2004.
Recueil de lettres et de pièces originales, et de copies de pièces indiquées comme telles dans le dépouillement qui suit, 1401-1500, Paris, Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits. Français 2911.
Reppel Eric, Les armuriers à Tours au XVIIe siècle, mémoire de maîtrise sous la direction de Pascal Brioist, Université de Tours, 2002-2003.
Reppel Eric, « Les armuriers à Tours de 1480 à 1520 », dans Boudon-Machuel Marion, Charron Pascale (dir.), Art et société à Tours au début de la Renaissance, actes du colloque du 10 au 12 mai 2012, Turnhout, Brepols, 2016, p. 185-194.